COMMENT RÉPONDENT LES JUGES AMÉRICAINS ?
Le mois de juillet a été trépident pour ceux qui scrutent le juridique sur l’IA avec deux décisions très attendues rendues dans des affaires de grandes envergures : celles opposant des auteurs à Meta et à Anthropic. Dans ces contentieux américains, des auteurs ont assigné les géants de l’IA au motif que l’utilisation de leurs œuvres pour entraîner des modèles d’IA porte atteinte à leur droit d’auteur. Aux Etats-Unis, la clé de voûte de la défense des fournisseurs d’IA en matière de violation du copyright des auteurs est l’argument juridique du « Fair Use » (usage équitable en français) qui est une exception au droit d’auteur permettant d’utiliser des œuvres sans autorisation préalable des auteurs et sans avoir à les rémunérer.
1. Le « Fair Use » dans l’Affaire Anthropic
Anthropic AI a téléchargé plus de 7 millions de livres à partir de sites pirates et a numérisé plusieurs millions de livres imprimés achetés dans le but de constituer une « bibliothèque centrale de tous les livres du monde » pour soutenir l’entraînement de ses modèles de langage à grande échelle. Ces livres piratés et numérisés ont été stockés de manière permanente dans une bibliothèque numérique interne, à laquelle les ingénieurs avaient accès pour assembler les jeux de données d’entraînement du Chatbot d’Anthropic, Claude. Des sous-ensembles de ces livres ont été copiés, nettoyés et traités pour l’entraînement de différentes versions du modèle. Une action de groupe a été initiée par trois auteurs contre Anthropic pour violation de leurs droits d’auteur. Anthropic en défense invoque l’usage équitable (« Fair Use »). En droit américain, il est possible d’invoquer une exception au droit d’auteur qu’est l’usage équitable (« Fair Use ») pour justifier d’exploiter une œuvre sans autorisation et rémunération de l’auteur. Pour cela il faut que le Juge auquel est soumis l’affaire litigieuse observe les éléments suivants :
– L’objectif et le caractère (notamment commercial ou non) de l’utilisation
– La nature de l’œuvre protégée
– La quantité et le caractère important ou non de l’extrait utilisé par rapport à l’ensemble de l’œuvre ; et
– L’effet de l’utilisation de l’œuvre sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’œuvre. Ces critères sont observés au cas par cas par les Juges dans chaque affaire. Il n’est donc pas possible de généraliser un jugement reconnaissant l’existence d’un usage équitable car ce jugement dépend totalement des faits de l’affaire concernée. Dans cette affaire, le Juge a considéré que la copie de livres piratés et numérisés dans le cadre de l’entraînement de l’IA et la numérisation de livres imprimés légalement achetés afin de les convertir en format numérique constituaient des usages équitables. Il a en revanche considéré que ne relevait pas d’un usage équitable le fait, pour Anthropic, de télécharger sciemment et de copier des livres piratés afin de constituer une bibliothèque numérique (à partir de laquelle des copies partielles ont été réalisées pour entraîner l’IA). Le Juge devait prononcer un autre jugement avec le montant des dommages et intérêts dû aux auteurs en réparation de l’usage ne relevant pas du « Fair Use » d’ici décembre 2025. Il en sera autrement car Anthropic a fait le choix de trouver un accord transactionnel sur le montant de cette indemnité (août 2025). Anthropic a sans doute craint que le Tribunal se montre trop généreux à l’égard des auteurs.
2. Le « Fair Use » dans l’Affaire Meta
Dans cette affaire, treize auteurs reprochent à Meta d’avoir notamment entraîné son LLM, LLama, en utilisant des ensembles de données téléchargés sur des sites en ligne. L’une des sources utilisées était des “shadow libraries” piratées, qui proposaient des livres protégés par le droit d’auteur en téléchargement gratuit sans l’autorisation des auteurs. Dans cette affaire, le juge a rappelé que l’évaluation du « Fair Use » dépendait fortement des faits de chaque affaire, et a laissé entendre qu’il considérait l’usage fait par Meta comme transformateur au regard du 1er critère du Fair Use. Cependant, il s’est concentré sur le 4ème critère : le préjudice causé au marché. Il a rappelé à plusieurs reprises qu’il suffirait de démontrer l’existence d’un effet potentiel sur le marché pour que le 4ème critère soit retenu en faveur des plaignants. Il écrit que malheureusement cet effet sur le marché n’est pas démontré par les plaignants et conclu de manière relativement explicite qu’il doit donc, par défaut et à regret, reconnaitre l’existence d’un Fair Use au profit de Meta. Le juge dans cette affaire prend ses distances avec la décision du juge dans l’affaire Anthropic et adopte une position beaucoup plus précautionneuse. Il considère que les plaignants ont à l’avenir de grandes chances de remporter ce genre d’affaire dès lors qu’ils apporteront des preuves d’atteinte potentielle du marché. En résumé, Meta et Anthropic ont chacun gagné une bataille mais les fournisseurs d’IA sont très loin d’avoir obtenu un blanc-seing de la part des tribunaux. Il est important de mentionner que la notion juridique de « Fair Use » relève uniquement du droit américain et ne peut pas être invoquée devant des juridictions européennes. En Europe, les fournisseurs d’IA axent plutôt leur défense sur l’exception de « fouilles de données » (« text and data mining »). lawderis.com